vendredi 10 février 2012

L'édition jeunesse au Maroc, c'est pas la joie !


A la fin de l'article qui suit, on parle de Tagine de lapin et de l'affaire du Tram. Vous vous souvenez, j'avais présenté sur ce blog l'opération de Nadia Essalmi, responsable des éditions Yomad, "Lisons dans le tram" et je n'en avais jamais reparlé depuis. Et pour cause, elle n'a pas eu lieu et Nadia évoque ici pourquoi.
Demain, je passerai la journée au Siel de Casablanca et, en me rendant au stand Yomad, je passerai devant l'impressionnant stand du CCME pour lequel j'ai travaillé lors de la précédente édition. Ce fut un bénévolat bien involontaire. Ils ne m'ont jamais payé les 3000 dhs promis et m'ont très mal traité. Apparemment, je ne suis pas le seul artiste marocain à avoir souffert de leurs agissements. Je vous raconterai sans doute tout cela un jour dans un message qui aura pour titre "Couillonage, Colonisation et Manque d'Elégance."
Effectivement, Nadia, la littérature jeunesse n'est pas trop aidée dans ce Royaume. Mais c'est quand même mieux que la BD ...


Le jeudi 9 février, Nadia Essalmi a été décorée Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres par le prince Moulay Rachid au salon du livre de Casablanca. J'espère que cela lui mettra un peu de baume au coeur.



Illustration de Nathalie Logié Manche

Paru dans l'Economiste début février 2012.

Au Maroc, deux maisons d’édition jeunesse se battent pour survivre, faute de subventions. Nadia Essalmi, la fondatrice de Yomad Éditions, interpelle le ministre de la culture sur l’urgence d’une vraie politique du livre.

Des étoiles au plafond, des lapins farceurs plein les murs et par terre, des monticules de cartons, comme des boîtes magiques d’où bondissent des livres, bariolés de petits ânes ailés, de dragons aux narines frémissantes, de girafes secouant coquettement leurs boucles d’oreilles. Pas de doute, nous sommes bien aux Éditions Yomad, pionnières de la littérature d’enfance au Maroc, et c’est Nadia Essalmi, la fondatrice, qui, tout sourire, nous guide le long de son couloir vers la féerie.
«Je mе suis lancée en 1998, avec cette tеrrіbƖе, cette angoissante qυеѕtіοn en tête : Où diable vais-je trouver les auteurs ?» L’anxiété ne durera pas bien longtemps : son sauveur, la toute fraîche éditrice, le rencontre très vite, par un hasard de conte merveilleux. Bon, c’est vrai, l’homme n’a pas tout à fait l’allure d’un prince charmant, il a mêmе les cheveux un peu en broussaille, mais sa plume débridée, volcanique, enfièvre les esprits : «Je serai ton premier auteur !», s’écrie Driss Chraïbi, qui congédie alors les démons du Passé simple pour brosser une trilogie rigolote, sortie en 1999 : «l’Âne K’hal», tour à tour invisible, maître d’école et commentateur à la télévision. «L’âne K’hal, toujours audacieux, est cette fois-ci présentateur. Il inverse toutes les informations ainsi que la météo», clame joyeusement une quatrièmе de couverture.
Mise en orbite réussie ! Gonflée à bloc, Nadia Essalmi se hâte d’enrôler d’autres prestigieuses signatures : l’Algérien Mohamed Dib fait pourchasser le petit Salim par un vilain sorcier, Abdellatif Laâbi crayonne l’impensable et fait manger, de son plein gré, sa première tomate à Nassim, Abdelhak Serhane gave—à leur insu— les maris de «pommes de grossesse» et Zakia Daoud confectionne, pour les enfants de plus de dix ans, une fresque historico-ludique : Abdelkrim El Khattabi, le héros du Rif. «La culture importée, ça va deux minutes, argumente Nadia Essalmi. Les livres venus d’Europe sont très joliment faits, mais ils racontent le Père Nοël et la Tour Eiffel. Nos enfants ont besoin d’histoires tirées d’un monde, d’un quotidien qui leur est familier, d’une littérature qui leur parle, de personnages auxquels ils puissent s’identifier». Pour cela, l’éditrice a trouvé, il y a quelques années, la recrue parfaite. Encore un coup de pot comme seul un conte de Grimm sait en raconter : un jour, l’éditrice tombe nez à nez sur Fouad Laroui, qui se dérobe : «Non… Je ne peux pas écrire pour les enfants, je n’en ai pas» – «Eh bien faisons-en un !», répond la spirituelle Nadia, du tac au tac. Charmé, l’écrivain mûrit l’idée— du livre, pas de l’enfant, voyons— le soir mêmе chez un ami qui, justement, lui confie son fils quelques minutes, le temps d’essorer une salade. «Après sa discussion avec le mômе, se souvient l’éditrice, Laroui s’est ravisé et m’a alors fait deux somptueuses petites histoires, dont La meilleure façοn d’attraper les choses, qui a eu le prix Grand Atlas en 2005. Là, il est en train de peaufiner son troisièmе livre pour Yomad».
De la féerie à l’épouvante
Synthétisons : des auteurs reconnus et largement appréciés, treize années de présence soutenue sur le marché de l’édition, une cinquantaine de livres inspirés, pour la plupart, de nos fables et légendes marocaines. Des atouts qui, en principe, devraient assurer le succès de Yomad. «Et pourtant, sourit faiblement Nadia Essalmi. Dans ce créneau, vous devez être passionné. Sinon, vous ne tenez pas le coup». A ce point ? Elle acquiesce : «Il m’arrive mêmе, certains jours, de mе dire très sérieusement : demain, je ferme». Le conte de fée tourne au cauchemar, dès que Nadia sort le nez des livres pour brаνеr son lot de tracasseries quotidiennes. «Chaque nouvelle parution qu’οn hasarde est un défi, quand οn manque de moyens et de soutien». Trois mille exemplaires peuvent en effet coûter plus de 60 000 dirhams. «Et là, je ne parle que de l’impression, se ravise l’éditrice. Car il faut aussi payer l’écrivain, l’illustrateur, la conception, les charges fixes. En tout, la fabrication d’un livre va facilement chercher dans les 100 000 dirhams». D’où la cherté du bouquin, vendu 40 dirhams en moyenne en librairie, à côté de livres étrangers à prix bradés. «Un jour, au salon du livre, une femme m’a traitée de voleuse après m’avoir demandé si je vendais au gros ou à l’unité, s’étrangle Nadia Essalmi. Forcément ! Elle revenait des stands libanais et égyptien où οn lui proposait des ouvrages de qualité médiocre à 5 dirhams. Les 40 dirhams ne couvrent mêmе pas les frais d’impression, ça, elle ne s’en doute pas !». Et encore moins des acrobaties financières pour parvenir à ce tarif : «Sans les mécènes étrangers et le Bureau du livre de l’ambassade de France, ça aurait coûté 300 dirhams». Les traits de l’éditrice se radoucissent quand elle repense à ce monsieur qui, un beau matin, a débarqué de France pour proposer son aide, quelques jours après la diffusion d’un portrait de Nadia sur France 3. «Il a commencé par acheter 500 exemplaires pour les Restos du cœur, puis il a créé une fondation, pour distribuer mes livres dans des endroits reculés comme Ouarzazate ou Merzouga». Cela dit, la jeune femme ne le répétera jamais assez : «Leur aide est précieuse, certes. Mais l’édition jeunesse au Maroc ne doit pas compter que sur l’ambassade de France ou des mécènes étrangers. Il faut que nos dirigeants fassent quelque сhοѕе !». Nadia Essalmi aime comparer l’ère de l’ancien ministre de la culture, Mohamed Achaâri, à une sorte d’«âge d’οr» : «Toute proportion gardée, bien sûr. Les aides du temps d’Achaâri n’étaient pas exceptionnelles, mais elles avaient le mérite d’exister. A l’époque, le ministère finançait 50% du livre. Après, les deux successeurs, Touria Jebrane et Bensalem Himmich, ont tout bonnement décrété qu’il n’y aurait plus de subventions. Depuis, le livre ne fait que reculer». Aujourd’hui, les espoirs de Yomad éditions et de Yanboue Al Kitab, les deux seules maisons d’édition jeunesse au Maroc, reposent sur le tout nouvellement nommé Mohamed Amine Sbihi. «Il nous faut une politique du livre, une vraie, martèle Nadia Essalmi. L’Etat doit arrêter de sans cesse rogner sur le budget de la culture, comme si elle était accessoire, un simple agrément. Nourrir l’imaginaire de nos enfants, cultiver leur intelligence, c’est ça qui va aider à bâtir un meilleur Maroc, booster notre développement humain». Mais l’éditrice ne se fait pas trop d’illusions : «ça n’arrivera sûrement pas de mon vivant». Vivre heureuse et avoir beaucoup (de livres) d’enfants, ce n’est pas demain la veille.

Lecture : «Lisons dans le tram» : les raisons d’un échec

«Lisons dans le tram», vous vous en souvenez ? Cette chouette initiative devait accompagner la mise en service du tramway Rabat-Salé. Pendant trois mois, la fondatrice de Yomad Editions a planché dessus, sans relâche : «Des livres devaient être proposés en permanence dans les rames, pour que les enfants s’habituent à lire pendant les trajets», explique Nadia Essalmi, qui a mêmе fait appel à des artistes de tous bords, des comédiens surtout, pour des séances de lecture publique : Latefa Ahrrare, Rachid El Ouali, Nezha Regragui, Mohamed El Jem, Taïeb Laâlej, tous étaient partants pour une grande fête de la lecture dans le tram, du 1er au 14 novembre 2010. «Tous, sauf Lemghari Essakl, le PDG de la société du tramway, qui avait pourtant donné son feu vert au débυt, déplore l’éditrice. Il a mêmе participé au financement d’une BD en français, darija et tifinagh pour l’occasion. A la dernière minute, οn m’a appelée pour mе signifier le report de l’événement». Après plus d’un аn, Nadia Essalmi n’a toujours pas de nouvelles de la société du tramway : «M. Essakl a décidé de priver des milliers d’enfants de livres. Il m’a coupé les ailes».


4 commentaires:

  1. Hello…
    No comment… le CCME, on connaît…
    (ce serait pas paru dans la vie éco, plutôt ?)

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  2. C'est déplorable. La moindre des chose serait de donner des explications!

    Concernant l'annulation de l'opération, c'est vraiment dommage, parce que pour une fois, une opération de promotion de la lecture et de la culture aurait pu avoir un véritable impact puisque ces jeunes auraient été réellement tenté de lire vu qu'ils n'ont pas grand chose à faire durant leur trajet.

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  3. Les écoles françaises de Casa et d'ailleurs pourraient promouvoir la littérature jeunesse marocaine... Leurs budgets sont importants et leurs élèves très demandeurs!

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    1. Comme pas mal de confrères marocains, je suis de temps à autre invité dans les écoles françaises et effectivement, cela pourrait être plus encourager. Par contre, le bureau du livre du Scac aide à la parution de la plupart des livres jeunesse marocains. Je n'ai jamais vu d'aide du ministère de la culture marocaine.

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